il est dans ma boîte de peinture (ma trousse de toilette)
Westwego !!!
Niala-Loisobleu – 15 Septembre 2022
WESTWEGO
PAR PHILIPPE SOUPAULT
Toutes les villes du monde oasis de nos ennuis morts de faim offrent des boissons fraîches aux mémoires des solitaires et des maniaques et des sédentaires Villes des continents vous êtes des drapeaux des étoiles tombées sur la terre sans très bien savoir pourquoi et les maîtresses des poètes de maintenant
Je me promenais à Londres un été les pieds brûlants et le coeur dans les yeux près des murs noires près des murs rouges près des grands docks où les policemen géants sont piqués comme des grands points d’interrogation On pouvait jouer avec le soleil qui se posait comme un oiseau sur tous les monuments pigeon voyageur pigeon quotidien
Je suis allé dans ce quartier que l’on nomme White Chapel pèlerinage de mon enfance où je n’ai rencontré que des gens très bien vêtus et coiffés de chapeaux hauts de forme que des marchandes d’allumettes coiffées de canotiers qui criaient comme les fermières de France pour attirer les clients penny penny penny Je suis entré dans un bar wagon de troisième classe où s’étaient attablées Daisy Mary Poppy à côté des marchands de poissons qui chiquaient en fermant un œil pour oublier la nuit la nuit qui approchait à pas de loup à pas de hibou la nuit et l’odeur du fleuve et celle de la marée la nuit déchirant le sommeil c’était un triste jour de cuivre et de sable et qui coulait lentement entre les souvenirs îles désertées orages de poussière pour les anomaux rugissants de colère qui baissent la tête comme vous et comme moi parce que nous sommes seuls dans cette ville rouge et noire où toutes les boutiques sont des épiceries où les meilleurs gens ont les yeux très bleus
il fait chaud et c’est aujourd’hui dimanche il fait triste le fleuve est très malheureux et les habitants sont restés chez eux Je me promène près de la Tamise une seule barque glisse pour atteindre le ciel le ciel immobile parce que c’est dimanche et que le vent ne s’est pas levé il est midi il est cinq heures on ne sait plus où aller un homme chante sans savoir pourquoi comme je marche quand on est jeune c’est pour la vie mon enfance en cage dans ce musée sonore chez Madame Tussaud c’est Nick Carter et son chapeau melon il a dans sa poche toute une collection de révolvers et des menottes brillantes comme des jurons Près de lui le chevalier Bayard qui lui ressemble comme un frère c’est l’histoire sainte et l’histoire d’Angleterre près des grands criminels qui n’ont plus de noms.
Quand je suis sorti où suis-je allé il n’y a pas de cafés pas de lumières qui font s’envoler les paroles il n’y pas de tables où l’on peut s’appuyer pour ne rien voir pour ne rien regarder il n’y a pas de verres il n’y pas de fumées seulement les trottoirs longs comme les années où des taches de sang fleurissent le soir j’ai vu dans cette ville tant de fleurs tant d’oiseaux parce que j’étais seul avec ma mémoire près de toutes ses grilles qui cachent les jardins et les yeux sur les bords de la Tamise un beau matin de février trois Anglais en bras de chemise s’égosillaient à chanter trou la la trou la la trou la laire Autobus tea-rooms Leicester-square je vous reconnais je ne vous ai jamais vus que sur des cartes postales que recevait ma bonne feuilles mortes Mary Daisy Poppy petites flammes dans ce bar sans regard vous êtes les amies qu’un poète de quinze ans admire doucement en pensant à Paris au bord d’une fenêtre un nuage passe il est midi près du soleil Marchons pour être sots Coulons pour être gais rions pour être forts
Etrange voyageur voyageur sans bagages je n’ai jamais quitté Paris ma mémoire ne me quittait pas d’une semelle ma mémoire me suivait comme un petit chien j’étais plus bête que les brebis qui brillent dans le ciel à minuit il fait très chaud je me dis tout bas et très sérieusement j’ai très soif j’ai vraiment très soif je n’ai que mon chapeau clef des champs clef des songes père des souvenirs est-ce que j’ai jamais quitté Paris mais ce soir je suis dans cette ville derrière chaque arbre des avenues un souvenir guette mon passage C’est toi mon vieux Paris mais ce soir enfin je suis dans cette ville tes monuments sont les bornes kilométriques de ma fatigue je reconnais tes nuages qui s’accrochent aux cheminées pour me dire adieu ou bonjour la nuit tu es phosphorescent je t’aime comme on aime un éléphant tous tes cris sont pour moi des cris de tendresse je suis comme Aladin dans le jardin où la lampe magique était allumée je ne cherche rien je suis ici je suis assis à la terrasse d’un café et je souris de toute mes dents en pensant à tous mes fameux voyages je voulais aller à NewYork ou à Buenos Aires connaître la neige de Moscou partir un soir à bord d’un paquebot pour Madagascar ou Shang-haï remonter le Mississipi je suis allé à Barbizon et j’ai relu les voyages du capitaine Cook je me suis couché sur la mousse élastique j’ai écrit des poème près d’une anémone sylvie en cueillant les mots qui pendaient aux branches le petit chemin de fer me faisait penser au transcanadien et ce soir je souris parce que je suis ici devant ce verre tremblant où je vois l’univers en riant sur les boulevards dans les rues tous les voyous passent en chantant les arbres secs touchent le ciel pourvu qu’il pleuve on peut marcher sans fatigue jusqu’à l’océan ou plus loin là-bas la mer bat comme un cœur plus près de la tendresse quotidienne des lumières et des aboiements le ciel a découvert la terre et le monde est bleu pourvu qu’il pleuve et le monde sera content il y a aussi des femmes qui rient en me regardant des femmes dont je ne sais même pas le nom les enfants crient dans leur volière du Luxembourg le soleil a bien changé depuis six mois il y a tant de choses qui dansent devant moi mes amis endormis aux quatre coins je les verrai demain André aux yeux couleur de planète Jacques Louis Théodore le grand Paul mon cher arbre et Tristan dont le rire est un grand paon vous êtes vivants j’ai oublié vos gestes et votre vraie voix mais ce soir je suis seul je suis Philippe Soupault je descends lentement le boulevard Saint-Michel je ne pense à rien je compte les réverbères que je connais si bien en m’approchant de la Seine près des Ponts de Paris et je parle tout haut toutes les rues sont des affluents quand on aime ce fleuve où coule tout le sang de Paris et qui est sale comme une sale putain mais qui est aussi la Seine simplement à qui on parle comme à sa maman j’étais tout près d’elle qui s’en allait sans regret et sans bruit son souvenir éteint était une maladie je m’appuyais sur le parapet comme on s’agenouille pour prier les mots tombaient comme des larmes douces comme des bonbons Bonjour Rimbaud comment vas-tu Bonjour Lautréamont comment vous portez-vous j’avais vingt ans pas un sou de plus mon père est né à Saint-Malo et ma mère vit le jour en Normandie moi je fus baptisé au Canada Bonjour moi Les marchands de tapis et les belles demoiselles qui traînent la nuit dans les rues ceux qui gardent dans les yeux la douceur des lampes ceux à qui la fumée d’une pipe et le verre de vin semblent tout de même un peu fades me connaissent sans savoir mon nom et me disent en passant Bonjour vous et cependant il y a dans ma poitrine des petits soleils qui tournent avec un bruit de plomb grand géant du boulevard homme tendre du palais de justice la foudre est-elle plus jolie au printemps Ses yeux ma foudre sont des ciseaux chauffeurs il me reste encore sept cartouches pas une de plus pas une de moins pas une d’elles n’est pour vous vous êtes laids comme des interrogatoires et je lis sur tous les murs tapis tapis tapis et tapis les grands convois des expériences près de nous près de moi allumettes suédoises
Les nuits de Paris ont ces odeurs fortes que laissent les regrets et les maux de tête et je savais qu’il était tard et que la nuit la nuit de Paris allait finir comme les jours de fêtes tout était bien rangé et personne ne disait mot j’attendais les trois coups le soleil se lève comme une fleur qu’on appelle je crois pissenlit les grandes végétations mécaniques qui n’attendaient que les encouragements grimpent et cheminent fidèlement on ne sait plus s’il faut les comparer au lierre ou aux sauterelles la fatigue s’est-elle envolée je vois les mariniers qui sortent pour nettoyer le charbon les mécaniciens des remorqueurs qui roulent une première cigarette avant d’allumer la chaudière là-bas dans un port un capitaine sort son mouchoir pour s’éponger la tête par habitude et moi le premier ce matin je dis quand même Bonjour
offrant ses abordages intimes où nul petit-baigneur peut étaler sa serviette
Les horloges maudites aux aiguilles de plomb qui ne passent rien des lourdeurs sont mises au pointage, le son de ta voix me glisse dans l’oeil en m’humectant de ta langue.
Quels seins fêteraient-on ce jour à par le Nichon pour la célébration des fleurs ?
Puis aux étals les fruits qui tiennent à tes branches mordent tellement à l’Adam que le serpent s’est suicidé en se défenestrant du paumier
Cette chambre solaire tient des rêves en réserve dans ses placards sans laisser de passage aux personnages qui finalement n’ont jamais eu de lien avec l’histoire
Vivre peut être plus réel à pleines mains taiseuses qu’avec des mots superlatifs qui étouffent le sensible.