« TERRE Ô »- NIALA 2021 – ACRYLIQUE S/TOILE 46X38

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« TERRE Ô »

NIALA

2021

ACRYLIQUE S/TOILE 46X38

LES PIERRES DANS LE SOLEIL

Le vent frappe les herbes comme une monture qui doit gagner les ruisseaux à marches forcées.
Aucun vivant ne peut se soustraire à la mort qui l’enferme dans sa toile de rues et de veines.

Il est vain de courir la terre d’île en île, de continent en continent, de ville en ville, puisque toute l’histoire de l’être se passe d’une tempe à un poignet battant d’un
seul sang.

Le soleil ne sait rien de la peine de l’homme

sur lequel par hasard il jette une lueur

qui l’enfièvre un instant de tout l’amour d’un monde

auquel il ne tient que par un filet d’air.

Malgré sa belle architecture de lumière, le jour n’est rien qu’un morceau de papier dans la nuit où les lampes veillent de très hautes bâtisses n’ayant pour défaut
que le trou d’une serrure.

Pour répondre au franc sourire de la clarté, il reste la source et ses prunelles de gravier, il reste un tesson de bouteille qui regarde l’espace entier à travers un buisson
d’orties.

II

Tout est si calme et si fragile dans le village qu’il suffirait sans doute d’un éclat de voix pour que se fendent certaines tuiles des toits et pour que naisse l’unique enfant de
l’année.

La forêt n’ose pas s’avancer vers les blés de peur de briser une seule de leurs tiges et chaque épi tient à venir à la rencontre des champs rêvant de jour et de
nuit sous la luzerne.

Les fleurs essaient de garder un peu de soleil pour que le soir ne soit pas tout à fait obscur et les oiseaux dont l’ombre courait sur le sol se posent sur le premier arbre
retrouvé.

Le pont qui veut peser sans heurt sur la rivière n’est qu’un petit tas de pierres pour le chemin jouant avec la distance à la façon d’un chat dont la proie se tue
d’elle-même dans ses griffes.

La plaine s’élargit en bousculant les routes de toute la force de plusieurs millions d’herbes qui font de chaque source une clairière où le monde sauve le plus de jour qu’il
peut.

III

On gagne en hâte l’été pour ne plus voir la ville que les vitres font briller comme une armure et où les maisons dominent de leur stature l’homme dont rues et chambres
comptent les pas.

Il suffit d’un coteau pour courber l’horizon, d’un peu d’eau pour que des yeux regardent dans l’herbe, d’un coup de vent pour que les plus larges forêts prennent peur au bord du paysage
resté calme.

Le raisin qui mûrit au beau milieu des guêpes n’est plus rien qu’un orage griffé par la foudre et la gerbe qui se délie pour la batteuse ne sait pas que l’été va
finir avec elle.

On cherche en vain le poids d’une abeille mourant

tôt le matin en pleine fête de rosée

et il faudrait bâtir des greniers jusqu’au ciel

pour garder les fruits donnant naissance au printemps.

IV

Le destin du soir se joue dans le fond d’un verre où se reforme le couchant tombé des toits.
Des hommes qui doivent mourir avant demain le garderont comme un signet sous leurs paupières.

Un rayon presque chaud rend vivante une armoire qui n’a aucune chance de franchir la pièce parce que, lourde des bois où elle a vécu, elle ne peut aller bien loin sur le
palier.

Les maisons ont l’air de se serrer, plus secrètes au-dessus de leurs dormeurs, au-dessus des tables où du reflux du jour ne reste qu’une assiette comme un abîme ouvert à
l’aplomb de la nuit.

Le soleil voudrait ne pas quitter une feuille que la terre avare retient comme un peu d’or, mais très loin un miroir ou peut-être un carreau lui ordonne de s’en aller par-delà
les arbres.

C’est l’heure où la ville se sépare des rues dans le bruit de la dernière porte fermée, où le village éprouve un moment de bonheur parce que ses fumées vont
très haut dans le ciel.

V

L’oiseau perd son chemin pour avoir pris en chasse un peu de soleil trouvé dormant sur un toit et qui s’est soudain rétracté par-dessus les champs comme s’il n’était que la
branche d’un éventail.

On découvrira ses plumes le long d’un bois contre lequel il s’est jeté, déçu de voir si proches la prairie et l’immense forge des blés et si lointain l’horizon
couronnant la terre.

Il y a des rameaux qui s’échappent des arbres pour remettre au couchant tous les fruits de l’été.
II y a des moissons qui vont en plein village mourir, épis trop lourds, au pied des fontaines.

Le soir s’enfonce de plus en plus dans la campagne où l’on entend mieux le bruit que fait une taupe

devenue sans le vouloir le pouls de la plaine

loin de la ville, réduite à quelques terriers de clarté.

VI

La terre veut voir de quel côté vont les hommes qui somnolent en plein midi contre ses flancs le corps allongé en travers des céréales où fermes et clochers
coulent sans un regard.

L’arbre de la route ne cache pas son plaisir d’avoir quitté la grande cité des forêts où, jeune plant, il a vécu plusieurs années sans savoir que le monde a pour
source le ciel.

Il est le premier à faire signe au village

pour qu’il éveille le matin tuile par tuile

et, quand le soleil est sur le point de se coucher,

il se met sans raison à briller comme un lustre.

Un oiseau s’élance par moment de sa cime ainsi qu’un bouquet de feuilles vivantes qui reprendra bientôt sa place sur les branches pour se fermer le soir comme un simple
bourgeon.

Près des murs qui se retiennent de respirer, la nuit se concerte pour traverser des vitres où viennent aboutir comme des rails perdus les dernières lueurs qui dévalent du
jour.

VII

La forêt compte une à une les gouttes de pluie d’une voix qui à la longue endort les oiseaux.

Pourtant il lui arrive d’applaudir le vent qui a insisté pour qu’elle danse avec lui.

La verdure va d’arbre en arbre jusqu’aux routes contre quoi elle s’écrase, herbe mutilée où souvent une abeille épinglée de fraîcheur demande au soleil de lui
rapprendre à voler.

La pluie bourdonne longtemps d’un village à l’autre sur ses hautes et fragiles pattes d’insecte pour trébucher ensuite dans l’espace clair sans laisser d’autres traces qu’un peu de
rosée.

Le ruisseau donne le même coup d’épaule au pont

pour rejeter au fond des graminées rieuses

un chemin qui s’arrête à perte de vue

près d’une ferme où le soir est plus large qu’ailleurs.

VIII

Voulant parler au soleil auquel tout l’unit et qui se tient là-bas comme en haut d’une rampe, la moisson cherche en vain les mots que ses épis ne savent dire qu’au vent lorsqu’il les
renverse.

Dans le silence autour duquel les pierres montent comme un puits, seul bat le cœur trop grand d’une ville où se lèvent à la même heure cent mille hommes se ressemblant
pour une fois comme des frères.

Le jour commence à sortir avec pour reflet celui de leur sang qui se tord à peine aux tempes ou qui éclaire si mal l’herbier du poignet quand le soleil débouche des chemins
vicinaux.

Le matin surgit d’entre les buissons sachant que rien ne peut le cacher à mes yeux trop pauvres si ce n’est l’ombre que ma main fait sur le ciel ou celle d’un arbre coupant le monde en
deux.

IX

Le soleil ne cesse de dévaler le long des rails en avant du train qui ne le rattrape qu’au soir.
Le soleil relie entre elles les petites gares parmi les bourdons ricochant comme des balles.

Le paysan n’avance plus dans les avoines tant l’espace semble le serrer de toutes parts et quand il tourne son visage vers le ciel il sent qu’il n’est pas seul à regarder la terre.

Lorsqu’il est parvenu au sommet de la colline, il reconnaît dans le lointain quelques fenêtres d’où doit sortir comme d’une source un paysage de vergers trop blancs
abandonnés aux abeilles.

Sa tête vogue sans effort sur les moissons comme un simple bouchon au niveau d’une mer où le village entrevu n’est plus qu’un îlot auquel on n’accède qu’à la marée
basse du soir.

X

Dans l’été qui vacille en touchant les labours, l’oiseau n’entend plus l’appel d’un ruisseau avec alentour le pré veillant sur son nid.
Seul, l’espace est attentif au bruit de son vol.

Mais le bleu du ciel fond brutalement sur lui, l’obligeant sans manière à rejoindre le sol où sur un caillou trouant le jour et les herbes il retrouve le poignet nu de la
campagne.

Deux ou trois insectes quittent d’un trait la terre avec, à chaque aile, presque toute la clarté que contient la forêt, un moment entrebâillée sur la source née
d’une étoile en pleine pierre.

Un rideau fait respirer toute une maison et, lorsque se taisent les enfants de l’école, le silence est si grand partout qu’on se demande si quelqu’un pourra y prendre encore la
parole.

XI

Je m’enfonce très fort les ongles dans la peau pour me rappeler que je suis encore en vie à l’heure où mes doigts craignent de se refermer sur des os prêts à jouer le
jeu de la mort.

Que me reste-t-il de quarante ans de regards, sinon le souvenir de deux ou trois couchants au-dessus de soirs presque sans date ni lieu, de blés marchant la tête haute vers la
nuit?

Le soleil fait semblant de ne pouvoir sortir d’un filet d’eau traversant pierres et chemins ou des yeux d’une amoureuse pour qui se lève le jour irremplaçable d’un visage
d’homme.

Elle avance sans savoir que les murs s’éclairent à l’approche d’un corps aussi bouleversant

que celui d’un navire en route vers la terre, foudre vivante à quoi se brûle l’horizon.

La lumière éparse n’a plus d’autre support

qu’une main tendue venant tout droit de la nuit

et par laquelle ma chair rayonne et s’étend

très loin de ce point trop gris qu’est toujours le cœur.

XII

Un paysan, gerbe parmi les gerbes qu’il dresse, se sent maître des moindres gestes du soleil qu’il force à rester un tant soit peu sur les blés d’où le matin naîtra,
simplement ravivé.

Ils iront au village comme un troupeau sonnant avec, derrière eux, un carré de ciel vide dans lequel s’élèveront bientôt des batteuses dont la voix n’arrive pas, le
soir, à mourir.

La terre s’endort sans crainte entre les racines puisque rivières et vitres veillent pour elle jusqu’au jour où, montant à la cime des arbres, elle reverra tout le printemps
à ses pieds.

Les champs les plus reculés apprennent le nom dont la charrue les appelle, en le répétant, d’un bout à l’autre d’un été sans fin, à l’air qui l’oublie dans la
première ville traversée.

La vallée est vite remplie de nuits trop larges, descellées de temps en temps par de rares lampes, seules à tenir compagnie à la solitude quand les portes cessent de tourner
dans les murs.

XIII

LE ciel est sur les blés qui dorment à midi sans que le vent fasse parler un seul épi.
Rien ne brise leur chaîne si ce n’est la ville dont le front bat le soir à la première lampe.

Quand ils ont fait et refait le tour de leur champ, ils s’arrêtent quelquefois devant une fleur qui se penche avec des grâces de danseuse sur eux, conquérants des chemins durs de
l’été.

Lorsque l’éclair n’est plus qu’une bielle folle

au creux d’un orage que soutient la colline,

ils s’écartent pour faire un nid à l’alouette

qui, dans la pluie, tombe fermée comme un couteau.

Ils vont au-devant des chars tournant dans les chaumes afin qu’on les porte en triomphe jusqu’à la grange.
Nuit et jour, les tuiles vont veiller sur eux, croyant les soustraire à l’appel des batteuses.

Le sentier enfin libre erre toute la nuit, revenant sur ses pas s’il aborde la route qui va vers la ville où il n’y a de couchant que celui fait par les vitres se regardant.

XIV

Les céréales qui montent vers la colline pour la contraindre à s’échouer comme une barque dans l’été sans profondeur se jettent en vain contre la route qui dort
à l’ombre des arbres.

Le jour peut s’enfoncer dans le plus bel orage, devenir d’un seul coup une nuit sans couture, le soleil revient pour rougir les derniers ceps ou pour se mesurer à l’éclair le plus
fort.

Il apprend aux pierres à se laver de grand matin dans la rosée qu’on rencontre au bord des chemins, mais les champs peuvent sans lui se mettre à marcher au pas même du
paysan et de ses chevaux.

Le soir, quand le ciel pèse sur lui comme un pont, il a encore assez de force pour briller en toute hâte dans l’œil d’un oiseau mal caché parmi les fruits que l’on voit
soudain de très près.

XV

Au pied d’un arbre, un dormeur qui n’a pas de nom s’allonge en travers du monde où rien ne remue si ce n’est de temps à autre une touffe d’herbe à la recherche d’un peu d’air
à respirer.

On peut voir les pierres sortir de leur cachette, visages tendus vers l’imprenable clarté qui va et vient d’un épi de blé à l’autre sans jamais se poser en entier sur l’un
d’eux.

L’horizon n’est plus qu’une mince ligne de feu qui vacille lorsqu’on la regarde trop longtemps et d’où la campagne, douce et embrasée, part vers le toit dont, chaque soir, le soleil
tombe.

Hors du village où les murs se sont assoupis, on trouve une route qu’on ne peut pas oublier

quand un jour d’été on l’a suivie, d’arbre en arbre, comme une passerelle jetée sur le monde.

XVI

Le vent fraternel des premiers moments du jour a dû s’arrêter sur la place du village parce que les toits sont de très hautes montagnes dans la nuit qui circule à un
mètre du sol.

Sur la terre, la route est blanche jusqu’au ciel et pas un seul oiseau n’ose s’aventurer dans l’espace où rien ne bouge, tant il fait chaud, sinon, sans motif, une feuille au fond d’un
bois.

Un peu de lumière jetée sur les cailloux

met à nu les articulations du chemin

qui, d’ornière en ornière, conduit à la trouée

d’où le couchant déboule comme une roue perdue.

La campagne se laisse prendre dans la nasse que la forêt pose à la sortie des vallées et les plantes se délassent de leur journée en berçant un insecte
épuisé de soleil.

XVII

Les moissons font un rempart au bord des chemins où ne vont, comme s’ils étaient seuls sur la terre, que les habitants d’un village dont chaque mur est un heu de repos pour
l’été venant des villes.

On ne peut y trouver une pierre de plus qu’à l’âge fort lointain où il voyait le jour,

en se faisant un peu de place au milieu d’arbres qui n’ont point voulu depuis reculer d’un pas.

La source fait mine de jaillir à l’instant même où le soleil a besoin de quelques cailloux sur lesquels il s’appuiera pour la traverser, mais l’eau se brisera d’un coup comme une
vitre.

Un peu de cendre persiste des feux qu’on allume sous les fanes d’où doit monter un printemps toujours aussi propre avec son herbe et ses feuilles, capables de couvrir la surface du
monde.

XVIII

Les blés vont guetter l’homme qui, vers le couchant, mène l’orage sourd d’un troupeau, d’une voix déclinant peu à peu sans jamais disparaître puisqu’à leur tour
ils se parleront jusqu’au matin.

L’homme est sans nouvelles d’un village quitté chaque jour avant que ne partent les étoiles et redécouvert à l’instant où quelques lampes éclairent les murs comme
s’ils étaient en ruines.

Pareil aux ruisseaux talonnés par les nuages dans leur fuite vers le soir, l’automne ou la mer, il court vers une porte encadrée de lumière, l’ouvre et respire, ayant
retrouvé son ombre.

Par la fenêtre, il écoute un instant le bruit que fait un peuplier quand il s’ébat dans l’air, puis le sommeil le couche ainsi qu’une statue sur le haut où sont nés et
morts tous ses ancêtres.

Lucien Becker

« LE BOUQUET DE NIALA » – NIALA 2021 – ACRYLIQUE S/CARTON – ENCADRE SOUS/VERRE 40X50

« LE BOUQUET DE NIALA »

NIALA

2021

ACRYLIQUE S/CARTON

ENCADRE 40X50

Ce jour de Pleine-Lune-Bleue

éclot au centre d’un jeu de quilles astral dont je saisis les couleurs pour remplir ma palette

Tenant le vent d’une main et de l’autre la godille pour l’annexe

pour débarquer à taire l’asphyxie des fanes de l’été instable

Cache-cache et saute-mouton à cloche-pied du tant rabattu, on conte jusqu’à sang

L’oiseau refusant tout dérèglement de sa nature

de Grasse tire

le parfum respirable

l’amour est sauvage au point de refuser le synthétique surgonflé de tatouage et le rasage du poil fiction pédophile

Niala garde la fleur à m’aime l’herbe

BOUQUET DE FRISSONS

Une pensée fleurie dans une fissure la langue du lézard devant un tesson

La tache de lumière violette sur les marches du porche à côté de la flaque où le vieux chien vient boire.

Michel Butor

Si la voie parallèle déballaste et les gares du réseau secondaire ramassent leurs gaules

genre manif anti-vaccin

je reste près du troisième rappel décidé à durer sain dans ce lamentable foutoir d’empoigne

La flaque du chien pour bassin et la pâte levée…

Niala-Loisobleu

22 Août 2021

« L’ETREINTE BLEUE »- NIALA 2021 – ACRYLIQUE S/TOILE 65X54

« L’ETREINTE BLEUE »

NIALA

2021

ACRYLIQUE S/TOILE 65X54

FACILE EST BIEN PAR PAUL ELUARD

Facile est beau sous tes paupières
Comme l’assemblée du plaisir
Danse et la suite

J’ai dit la fièvre

Le meilleur argument du feu
Que tu sois pâle et lumineuse

Mille attitudes profitables

Mille étreintes défaites

Répétées vont s’efïaçant

Tu t’obscurcis tu te dévoiles

Un masque tu l’apprivoises

Il te ressemble vivement

Et tu n’en parais que mieux nue

Nue dans l’ombre et nue éblouie
Comme un ciel frissonnant d’éclairs
Tu te livres à toi-même
Pour te livrer aux autres.

Nous avons fait la nuit je tiens ta main je veille

Je te soutiens de toutes mes forces

Je grave sur un roc l’étoile de tes forces

Sillons profonds où la bonté de ton corps germera

Je me répète ta voix cachée ta voix publique

Je ris encore de l’orgueilleuse

Que tu traites comme une mendiante

Des fous que tu respectes des simples où tu te baignes

Et dans ma tête qui se met doucement d’accord avec

la tienne avec la nuit
Je m’émerveille de l’inconnue que tu deviens
Une inconnue semblable à toi semblable à tout ce

que j’aime
Qui est toujours nouveau.

Paul Eluard

« ANEMONE »- NIALA 2021 – ACRYLIQUE S/TOILE 116X81

« ANEMONE »

NIALA

2021

ACRYLIQUE S/TOILE 116X81

Sirène-Anémone

Qui donc pourrait me voir
Moi la flamme étrangère
L’anémone du soir
Fleurit sous mes fougères

Ô fougères mes mains
Hors l’armure brisée
Sur le bord des chemins
En ordre sont dressées

Et la nuit s’exagère
au brasier de la rouille
Tandis que les fougères
Vont aux écrins de houille

L’anémone des cieux
Fleurit sur mes parterres
Fleurit encore aux yeux
À l’ombre des paupières

Anémone des nuits
qui plonge ses racines
Dans l’eau creuse des puits,
Aux ténèbres des mines

Poseraient-ils leurs pieds
Sur le chemin sonore
où se niche l’acier
Aux ailes de phosphore

Verraient-ils les mineurs
Constellés d’anthracite
Paraître l’astre en fleur
Dans un ciel en faillite

En cet astre qui luit
S’incarne la sirène
L’anémone des nuits
fleurit sur son domaine

Alors que s’ébranlaient avec des cris d’orage
Les puissances Vertige au verger des éclairs
La sirène dardée à la proue d’un sillage
Vers la lune chanta la romance de fer

Sa nage déchirait l’hermine des marées
Et la comète errant rouge sur un ciel noir
Paraissait par mirage aux étoiles ancrées
L’anémone fleurie aux jardins des miroirs

Et parallèlement la double chevelure
Rayait de feu le ciel et d’écume les eaux
Fougères surgissez hors de la déchirure
Par où l’acier saigna sur le fil des roseaux

Nulle armure jamais ne valut votre angoisse
Fougères pourrissant parmi nos souvenirs
Mais vous charbonnerez longtemps sous nos cuirasses
Avant la flamme où se cabrant pour mieux hennir

Le cheval vieux cheval de retour et de rêve
Vers les champs clos emportera nos ossements
Avant l’onde roulant notre cœur sur la grève
Où la sirène dort sous un soleil clément

L’anémone fleurit partout sous les carènes
Déchirées aux récifs dans l’herbe des forêts
Dans le train des miroirs sur les parquets d’ébène
Et surtout dans nos cœurs palpitant sans arrêt

C’est le joyau serti au vif des nébuleuses
L’orgueil des voies lactées et des constellations
La prunelle qui met au regard des plus gueuses
Le diamant de fureur et de consolation

Heureuse de nager loin des hauts promontoires
Parmi les escadrons de requins fraternels
La sirène aux seins durs connaît maintes histoires
Et l’accès des trésors à l’ombre des tunnels

Mais ni l’or reluisant dans les fosses marines
Ni les clefs retrouvées des légendes du port
Ne la charment autant que d’ouvrir les narines
Aux vents salés plus lourds des parfums de la mort

C’était par un soir de printemps d’une des années perdues à l’amour
D’une des années gagnées à l’amour pour jamais
Souviens-toi de ce soir de pluie et de rosée où les étoiles devenues comètes tombaient vers la terre
La plus belle et la plus fatale la comète de destin de larmes et d’éternels égarements
S’éloignait de mon ciel en se reflétant dans la mer
Tu naquis de ce mirage
Mais tu t’éloignas avec la comète et ta chanson s’éteignit parmi les échos
Devait-elle ta chanson pour jamais
Est-elle morte et dois-je la chercher dans le chœur tumultueux des vagues qui se brisent
Ou bien renaîtra-t-elle du fond des échos et des embruns
Quand à jamais la comète sera perdue dans les espaces
Surgiras-tu mirage de chair et d’os hors de ton désert de ténèbres
Souviens-toi de ce paysage de minuit de basalte et de granit
0ù détachée du ciel une chevelure rayonnante s’abattit sur tes épaules
Quelle rayonnante chevelure de sillage et de lumière
Ce n’est pas en vain que tremblent dans la nuit les robes de soie
Elles échouent sur les rivages venant des profondeurs
Vestiges d’amours et de rivages où l’anémone refuse de s’effeuiller
De céder à la volonté des flots et des destins végétaux
À petits pas la solitaire gagne alors un refuge de haut parage
Et dit qu’il est mille regrets à l’horloge
Non ce n’est pas en vain que palpitent ces robes mouillées
Le sel s’y cristallise en fleurs de givre
Vidées des corps des amoureuses
Et des mains qui les enlaçaient
Elles s’enfuient des gouffres tubéreuses
Laissant aux mains malhabiles qui les laçaient
Les cuirasses d’acier et les corsets de satin
N’ont elles pas senti la rayonnante chevelure d’astres
Qui par une nuit de rosée tomba en cataractes sur tes épaules
Je l’ai vue tomber
Tu te transfiguras
Reviendras-tu jamais des ténèbres
Nue et plus triomphante au retour de ton voyage
Que l’enveloppe scellée par cinq plaies de cire sanglante
Ô les mille regrets n’en finiront jamais
D’occuper cette horloge dans la clairière voisine
Tes cheveux de sargasse se perdent
Dans la plaine immense des rendez-vous manqués

Sans bruit au port désert arrivent les rameurs
Qui donc pourrait te voir toi l’amante et la mère
Incliner à minuit sur le front du dormeur
L’anémone du soir fleurie sous tes paupières

Baiser sa bouche close et baiser ses yeux clos
Incliner sur son front l’immense chevelure
Bérénice de l’ombre ah ! retourne à tes flots
Sirène avant que l’aube ouvre ses déchirures

Une steppe naîtra de l’écume atlantique
Du clair de lune et de la neige et du charbon
où nous emportera la licorne magique
Vers l’anémone éclose au sein des tourbillons

Tempête de suie nuage en forme de cheval
Ah malheur ! Sacré nom de Dieu ! La nuit naufrage
La nuit ? Voici sonner les grelots ! Carnaval
Ferme l’œil ! En vérité le bel équipage

Et dans ce ciel suintant des barriques des docks
Soudain brusquement s’interrompent les rafales
Quand la sirène avec l’aurore atteint les rocs
L’anémone du ciel est la fleur triomphale

C’est elle qui dresse au-dessus des volcans
Jette une lueur blafarde à travers la campagne
C’est l’aile du vautour le cri du pélican
C’est le plan d’évasion qui fait sortir du bagne

C’est le reflet qui tremble aux vitres des maisons
Le sang coagulé sur les draps mortuaires
C’est un voile de deuil pourri sur le gazon
C’est la robe de bal découpée dans un suaire

C’est l’anathème et l’insulte et le juron
C’est le tombeau violé les morts à la voirie
La vérole promise à trois générations
Et c’est le vitriol jeté sur les soieries

C’est le bordel du Christ le tonnerre de Brest
C’est le crachat le geste obscène vers la vierge
C’est un peuple nouveau apparaissant à l’est
C’est le poignard le poison ce sont les verges

C’est l’inverti qui se soumet et s’agenouille
Le masochiste qui se livre au martinet
Le scatophage hideux au masque de gargouille
Et la putain furonculeuse aux yeux punais

C’est l’étreinte écœurante avec la femme à barbe
C’est le ciel reflété par un œil de lépreux
C’est le châtré qui se dénude sous les arbres
Et l’amateur d’urine au sourire visqueux

C’est l’empire des sens anémone l’ivresse
Et le sulfure et la saveur d’un sang chéri
La légitimité de toutes les caresses
Et la mort délicieuse entre des bras flétris

Pluie d’étoiles tombez parmi les chevelures
Je veux un ciel tout nu sur un globe désert
où des brouillards mettront une robe de bure
aux mortes adorées pourrissant hors de terre

Adieu déjà parmi les heures de porcelaine
Regardez le jour noircit au feu qui s’allume dans l’âtre
Regardez encore s’éloigner les herbes vivantes
Et les femmes effeuillant 1a marguerite du silence
Adieu dans la boue noire des gares
Dans les empreintes de mains sur les murs
Chaque fois qu’une marche d’escalier s’écroule un timide enfant paraît à la fenêtre mansardée
Ce n’est plus dit-il le temps des parcs feuillus
J’écrase sans cesse des larves sous mes pas
Adieu dans le claquement des voiles
Adieu dans le bruit monotone des moteurs
Adieu ô papillons écrasés dans les portes
Adieu vêtements souillés par les jours à trotte-menu

Perdus à jamais dans les ombres des corridors
Nous t’appelons du fond des échos de la terre,
Sinistre bienfaiteur anémone de lumière et d’or
Et que brisé en mille volutes de mercure
Éclate en braises nouvelles à jamais incandescentes
L’amour miroir qui sept ans fleurit dans ses fêlures
Et cire l’escalier de la sinistre descente
Abîme nous t’appelons du fond des échos de la terre
Maîtresse généreuse de la lumière de l’or et de la chute
Dans l’écume de la mort et celle des Finistères
Balançant le corps souple des amoureuses
Dans les courants marqués d’initiales illisibles
Maîtresse sinistre et bienfaisante de la perte éternelle
Ange d’anthracite et de bitume
Claire profondeur des rades mythologie des tempêtes
eau purulente des fleuves eau lustrale des pluies et des rosées
Créature sanglante et végétale des marées

Du marteau sur l’enclume au couteau de l’assassin
Tout ce que tu brises est étoile et diamant
Ange d’anthracite et de bitume
Éclat du noir orfraie des vitrines
Des fumées lourdes te pavoisent quand tu poses les pieds
Sur les cristaux de neige qui recouvrent les toits

Haletant de mille journaux flambant après une nuit d’encre fraîche
Les grands mannequins écorchés par l’orage
Nous montrent ce chemin par où nul n’est venu

Où donc est l’oreiller pour mon front fatigué
Où donc sont les baisers où donc sont les caresses
Pour consoler un cœur qui s’est trop prodigué
où donc est mon enfant ma fleur et ma détresse

Me pardonnant si des brouillards bandent mes yeux
Si j’ai l’air d’être ailleurs si j’ai l’air un autre
Me pardonnant de croire au noir au merveilleux
D’avoir des souvenirs qui ne soient pas les nôtres

Pardonnant mon passé mon cœur mes cicatrices
D’avoir parcouru seul d’émouvantes contrées
D’avoir été tenté par des voix tentatrices
Et de ne pas l’avoir plus vite rencontrée

Saurait-elle oublier mes rêves d’autrefois
Les fortunes perdues et les larmes versées
L’étoile sans merci brillant au fond des bois
Et les désirs meurtris en des nuits insensées

Et ces phrases tordues comme notre amour même
Et que je murmurais lorsque minuit blafard
Posait ses maigres doigts sur des visages blêmes
Séchant les yeux mouillés et barbouillant les fards

Dans ces temps-là le ciel était lourd de ténèbres
Le sonore minuit conduisait vers mon lit
Des visiteuses sans pitié et plus funèbre
Que la mort l’anémone évoquait la folie

Les fleurs qui s’effeuillaient sur les fruits de l’automne
Laissèrent leurs parfums aux fleurs des compotiers
Et sur le fût tronqué des anciennes colonnes
Le sel des vents marins mit des lueurs de glaciers

Et longtemps ces parfums orgueil des porcelaines
Flotteront dans la paix des salles à manger
Et les cristaux de sel brilleront dans la laine
Des grands manteaux flottants que portent les bergers

Mes baisers rejoindront les larmes qui vont naître
Ils rejoindront la solitude sans pitié
Les vents marins soufflant sur les chaumes sans maîtres
Et les parfums mourants au fond des compotiers

Je suis marqué par mes amours et pour la vie
Comme un cheval sauvage échappé aux gauchos
Qui retrouvant la liberté de la prairie
Montre aux juments ses poils brûlés par le fer chaud

Tandis qu’au large avec de grands gestes virils
La sirène chantant vers un ciel de carbone
au milieu des récifs éventreurs de barils,
au cœur des tourbillons fait surgir l’anémone.

Robert DESNOS

Recueil : « Corps et biens »

« FLORE » – NIALA 2021 – ACRYLIQUE S/TOILE 65X54

« FLORE »

NIALA

2021

ACRYLIQUE S/TOILE 65X5

A Flore

Statue !
les orties se font douces
à l’ombre de tes mains.

Une sève à tes pieds
monte à pas de glycine
et ne s’ouvre que mûre
à hauteur de tes lèvres.

Le ciseau qui te fit
n’alla pas jusqu’à l’âme
tant le roc était dur.

Rien n’étonne tes yeux :
ni un vol d’anémones
ni mon rêve amoureux.

Philippe Martineau

A Barbara

Native du soleil

montée à bord de l »oiseau trouvant l’altitude

le vase de ton aisselle rassemble les parfums d’essences florales mêlés aux menthes enivrantes

d’un regard qui parle

et

se montre sans dire un maux.

Niala-Loisobleu

23 Juin 2021